E x t i m e (journal)

dimanche 28 février 2016

Comme eau et huile


" Le désir puis le plaisir révèlent et trahissent l’enfermement de chacun dans sa peau, dans ses limites corporelles contraignantes. L’intersubjectivité sexuelle suppose moins la fusion que la juxtaposition, moins la confusion que la séparation. L’éjaculation, masculine ou féminine, prouve l’impossible religion amoureuse et l’évidence d’un athéisme en la matière. (…)

Pas de communication de substance, pas d’âmes qui se mélangent, pas de corps qui s’identifient : le philosophe est formel, dans la sexualité, on exacerbe la nature séparée des monades et leur définitive incapacité à se pénétrer, se fondre, s’unir et fusionner. Chaque corps, reproduit la figure de l’atome : insécable, sans porte ni fenêtre, telle la monade leibnizienne, rien de son identité ne sort de lui, rien n’entre en lui, il subsiste en sphère pour lui-même, et non avec autrui. 


D’où les aspirations infructueuses à cette confusion impossible par les baisers, les pénétrations, les pincements ou griffures, les morsures, les étreintes, les sueurs, les salives et les substances mélangées, les succions, les désirs d’incorporation buccale. Or, rien n’y fait : chaque corps demeure désespérément dans sa forme, dans sa complexion, essentiellement inchangé. Dans le désir sollicité et le plaisir exacerbé, chacun expérimente l’extase autiste et la volupté solipsiste, radicalement étranger aux émotions de l’autre qui le concernent par les seules satisfactions égoïstes et narcissiques qu’elles lui procurent. La jouissance de l’autre intéresse car elle fait la démonstration narcissique d’une capacité à la déclencher (…). On jouit du plaisir de l’autre parce qu’on le déclenche – on souffre de ne pouvoir le provoquer, mais on ne jouit pas le plaisir de l’autre. "

Michel Onfray, Théorie du corps amoureux, 2000

vendredi 26 février 2016

Moins de 6 pour voir ...

"Il faut regarder le monde comme le fait un enfant, avec de grands yeux stupéfaits : il est si beau. Allez courir dans les champs, traverser les plaines à fond de train comme un cheval ; sautez à la corde et, quand vous aurez six ans, vous ne saurez plus rien et vous verrez des choses insensées."

Arthur Cravan

jeudi 25 février 2016

Eglisse








Manuel del Busto, architecte - 1912
Okuda San Miguel, street artist - 2000
pour un collectif de skaters "The Church Brigade"





dimanche 21 février 2016

Lund Hagem - Knapphullet







Photographie de Lund Hagem, architecte

Knapphullet
Lieu : Sandefjord / Norvège / 2014
Architecte : Lund Hagem

Knapphullet is a small annex (...) has a distinctive roof free spanning. The roof folds down to the ground creating a ramp up to a viewing platform connecting to the upper cliff.
The project began as an idea for how to utilize a naturally sheltered area surrounded by large rocks and dense vegetation. The idea developed to create a way to climb up from this shelter to see the panoramic view over the sea, which led to the characteristic shape of the roof: a stepped ramp leads up from the terrain to the roof.
A sheltederd atrium is formed by the house and the cliffs where the interior concrete bench extends from the interior to the exterior tying it all together.
The annex contains a suspended bed, a small living space and a bathroom. The building occupies a small footprint, but the space expands vertically into three levels : the basement, the ground floor level and the roof.
The annex is accessed by a footpath that runs along the small meandering wooded area to the north of the site.
The slit on the roof pours light into the building, combined with a hammock.
(...)

mardi 16 février 2016

Hétérotopie

Mirror, mirror. Dessin de Laurie Lipton

" Corps incompréhensible, corps pénétrable et opaque, corps ouvert et fermé : corps utopique. 
Corps absolument visible, en un sens : je sais très bien ce que c’est qu’être regardé par quelqu’un d’autre de la tête au pied, je sais ce que c’est qu’être épié par derrière, surveillé par-dessus l’épaule, surpris quand je m’y attends, je sais ce qu’être nu ; pourtant ce même corps qui est visible, il est retiré, il est capté par une sorte d’invisibilité de laquelle jamais je ne peux le détacher. Ce crâne, ce derrière de mon crâne que je peux tâter, là, avec mes doigts, mais voir, jamais ; ce dos, que je sens appuyé contre la poussée du matelas sur le divan, quand je suis allongé, mais que je ne surprendrai que par la ruse d’un miroir ; et qu’est-ce que c’est que cette épaule, dont je connais avec précision les mouvements et les positions, mais que je ne saurai jamais voir sans me contourner affreusement. Le corps, fantôme qui n’apparaît qu’au mirage des miroirs, et encore, d’une façon fragmentaire.
(…)


Après tout, les enfants mettent longtemps à savoir qu’ils ont un corps. Pendant des mois, pendant plus d’une année, ils n’ont qu’un corps dispersé, des membres, des cavités, des orifices, et tout ceci ne s’organise, tout ceci ne prend littéralement corps que dans l’image du miroir (…). C’est ce cadavre, par conséquent, c’est le cadavre et c’est le miroir qui nous enseignent que nous avons un corps, que ce corps a une forme, que cette forme a un contour, que dans ce contour il y a une épaisseur, un poids ; bref, que le corps occupe un lieu. C’est le miroir et c’est le cadavre qui assignent un espace à l’expérience profondément et originairement utopique du corps ; c’est le miroir et c’est le cadavre qui font taire et apaisent et ferment sur une clôture – qui est maintenant pour nous scellée- cette grande rage utopique qui délabre et volatilise à chaque instant notre corps.

(…)


Je crois qu'entre les utopies et ces emplacements absolument autres, ces hétérotopies, il y aurait sans doute une sorte d'expérience mixte, mitoyenne, qui serait le miroir. Le miroir, après tout, c'est une utopie, puisque c'est un lieu sans lieu. Dans le miroir, je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s'ouvre virtuellement derrière la surface, je suis là-bas, là où je ne suis pas, une sorte d'ombre qui me donne à moi-même ma propre visibilité, qui me permet de me regarder là où je suis absent - utopie du miroir. Mais c'est également une hétérotopie, dans la mesure où le miroir existe réellement, et où il a, sur la place que j'occupe, une sorte d'effet en retour ; c'est à partir du miroir que je me découvre absent à la place où je suis puisque je me vois là-bas. À partir de ce regard qui en quelque sorte se porte sur moi, du fond de cet espace virtuel qui est de l'autre côté de la glace, je reviens vers moi et je recommence à porter mes yeux vers moi-même et à me reconstituer là où je suis; le miroir fonctionne comme une hétérotopie en ce sens qu'il rend cette place que j'occupe au moment où je me regarde dans la glace, à la fois absolument réelle, en liaison avec tout l'espace qui l'entoure, et absolument irréelle, puisqu'elle est obligée, pour être perçue, de passer par ce point virtuel qui est là-bas. "

Michel Foucault, Les Hétérotopies, Le Corps Utopique, 2009













mercredi 10 février 2016

Corps chaos




Collages de  Chloé Julien


" L’idée de chaos comme état initial, et constant de l’humanité, est un des points principaux de départ de cette série de collages et des peintures à l’huile qui en découlent, nouveau processus de travail qui a débuté fin 2011.
La scène finale de Zabriskie Point, film emblématique de Michelangelo Antonioni, m’a profondément marquée : L’héroïne principale fait exploser mentalement, une villa contenant des objets de consommation de luxe. Les éclats, suspendus dans l’air, forment une image hypnotique et leur envolée est accompagnée de la musique romantique de Pink Floyd au ralenti... Cette association contradictoire purement esthétique qui procède d’une mise en scène dans une piscine afin de lisser les images et les couleurs qui nous apparaissent de face, est un exutoire qui finit par catalyser toutes les émotions. Il semble à la fois répertorier chaque déchet dans l’air et les mettre en évidence afin de leur redonner une place plus «juste», primitive, organique, flottant dans l’air dans une nouvelle harmonie colorée. Le spectacle qu’on vit face à l’explosion de produits emblématiques de la société de consommation, cette beauté là est cathartique.

J’utilise des images de magazines de mode, de photo ou de porno. En premier lieu : je pense à ruiner l’harmonie, et faire voler en éclat ce qui fascine, ce détournement, à la manière d’un morceau de musique expérimental: «Noise», ou d’une «coupe» de Gordon Matta-Clark me permet de faire cheminer le cerveau dans un espace qu’on ne peut saisir facilement. La chirurgie de l’image est en œuvre : extraire, voir disséquer des matières sans se soucier de la représentation originale. Ces images de magazines, représentent un paroxysme de la séduction sociale, elles se ressemblent toutes, et font cohabiter sans hiérarchie sublime et réalisme à des but mercantiles. Leur physicalité m’intéresse plus qu'une image prise sur internet, manquant de matérialité, de rudesse. J’utilise, en passant par la dissection des images, des processus similaires de fabrication (agrandissement, composition, colorisation, trompe-l’œil) à des fins complètement différentes. 
Détournées et recomposées dans un espace vide, mental, la transformation violente des images initiales se fait sentir: elles ont été dépouillées, évidées, puis «réparées», grâce à l’aimantation fragmentaire, plus ou moins aléatoire. 

Cela tend à rendre compte d’un mécanisme humain. Incomplet : il l’est toujours, et il est voué à des métamorphoses qui ne mèneront nulle part, qu’à l’état de ce mouvement perpétuel. L’état constant : est celui de la métamorphose, du chaos, des tentatives de fusions contrariées. C’est une contradiction que je ne peux expliquer autrement. Même si ça tend vers l’explosion, je prends un soin tout particulier à ces ruines, comme s’ils étaient des émaux, des miniatures. Je ne cherche pas à reproduire un effet «naturel». La retranscription, et la mise en situation dans un espace plus grand, en peinture à l’huile, sont un détournement supplémentaire qui ajoute, à la confusion par le trompe l’œil, et la sensualité de l’huile qui donne une impression de proximité. On voit tout, de très près : mais on ne voit rien. Le corps est là, et pourtant il n’est le centre de rien : on le soupçonne partout, sans le reconnaître, il n’est que pris dans un mécanisme, qui ne mène à rien d’autre qu’à tourner comme une machine, et à faire acte d’une présence que je souhaite très ambigüe, et finalement bien immobile. 
Je tente d’offrir des chemins de compréhensions parasites, incomplets, un nouveau «pli», de l’image, en essayant d’être entre l’abstraction et la figuration : je pense autant à Bosch qu’à Kandinsky, autant à Bellemer qu’à Stella et m’intéresse depuis peu à la peinture réaliste et hyper réaliste actuelle, comme la façon dont Chuck Close, isole l’image zone par zone et accède à sa matière, d’une façon ultra pragmatique. "

Chloé Julien (2013)







Ersilie, ville et fils

" A Ersilie, pour établir les rapports qui régissent la vie de la ville, les habitants tendent des fils qui joignent les angles des maisons, blancs,ou noirs, ou gris, ou blancs et noirs, selon qu' ils signalent des relations de parenté, d'échange, d'autorité, de délégation. 


Quand les fils sont devenus tellement nombreux qu'on ne peut plus passer au travers, les habitants s'en vont : les maisons sont démontées ; il ne reste plus que les fils et leurs supports.
Du flanc d' une montagne, ou ils campent avec leurs meubles, les émigrés d' Ersilie regardent l'enchevêtrement de fils tendus et de piquets qui s' élève dans la plaine. C' est là toujours la ville d'Ersilie ; et eux même ne sont rien.



Ils réédifient Ersilie ailleurs. Avec des fils ils tissent une figure semblable qu' ils voudraient plus compliquée et en même temps plus régulière que l' autre. 

Puis ils l' abandonnent et se transportent encore plus loin, eux- même et leurs maisons.


Ainsi en voyageant sur le territoire d' Ersilie ; tu rencontres les ruines des villes abandonnées, sans les murs qui ne durent pas, sans les os des morts que le vent fait rouler au loin : des toiles d' araignée de rapports enchevêtrés qui cherchent une forme."


Italo Calvino - Les Villes invisibles 






illustrations : Amy Casey






Spéciale dédicace à Ktoo pour son ambition de création sur le "fil" ...

jeudi 4 février 2016

Terunobu Fujimori

藤森 照信, Fujimori Terunobu (1946-.) 

Architecte japonais. Historien de l’architecture japonaise jusqu'en 1990, il décide de mettre en pratique certaines expériences architecturales, en commençant par sa propre maison.
Il réalise notamment des maisons de thé  particulièrement étonnantes.

Proche de l’architecture ancestrale japonaise avec l'utilisation de matériaux naturels tels que le bois (dont bois brûlé, ou des arbres entiers) et la terre, auxquels il intègre volontiers les végétaux, sa démarche est indissociable du
 contexte environnemental de sa construction.

Constructions 
improbables, biscornues parfois d'apparence frêles qui défient la gravité, perchées ou suspendues, agrémentées d'appendices décalés, posés là, comme en équilibre.
De prime abord, en décalage avec la philosophie zen, épurée et rigoureuse, mais en apparence seulement, car assurément dans la continuité de cette culture-là.


Principales réalisations : Maison de thé Takasugi-an à Chino, l’Onsen Lamune à Takeda, le musée d’art Nemunoki à Kakegawa, la maison du chocolat Kokubunji à Tokyo, ... En 2006, il représente le Japon à la Biennale de Venise.








ne pas passer à côté de Takasugi-an
et conférence donnée à l'Ecole d'Architecture de Strasbourg par Terunobu Fujimori

lundi 1 février 2016

Anamorphose









Medusa la déesse que l’on ne peut fixer du regard sous peine de finir figé à jamais en statut de pierre.

Les artistes des groupes Ninja1 et Mach505 ont « anamorphosé » la déesse déchue. Cependant elle vous apparaîtra seulement lorsque vous aurez trouvé l’angle de vision parfait.

Attention à ne pas finir en pierre…

Takasugi-an

Petit pavillon à thé sur piliers en bois


Conçu par l’architecte Terunobu Fujimori pour son usage personnel, Takasugi-an est un petit pavillon de thé construit en hauteur à Chino au Japon.

En japonais, Takasugi-an signifie un pavillon de thé (construit) trop haut. Perché sur deux troncs de châtaignier provenant de la montagne toute proche est accessible par une échelle et n’a qu’une fenêtre.