E x t i m e (journal)

dimanche 29 juin 2014

Tiers Paysage (2)


A Nantes, une mystérieuse graffeuse nomme les plantes des rues

« Dans mon quartier de Chantenay, à Nantes, un botaniste lettré, aussi savant qu’anonyme, a redonné leurs noms aux herbes sauvages des rues. Merci l’ami-e ! » L’histoire commence avec ce texte publié par un Nantais le 20 juin dernier, sur Facebook, accompagné de plusieurs photos. Celles-ci montrent des pochoirs peints sur les trottoirs qui révèlent depuis fin mai aux passants le nom des fleurs sauvages.



Frappantes et poétiques, ces photos sont partagées, en quelques jours, des milliers de fois sur Facebook. Jusqu’à ce qu’un internaute finisse par identifier l’anonyme à l’origine de cette belle idée. Il s’agit d’une conteuse nantaise, Frédérique Soulard , toute étonnée du succès de son initiative sur Internet : « Il paraît que quelqu’un a mis les photos sur Facebook et que beaucoup de gens les ont vues, je suis très contente. » L’artiste, précise rapidement : « Je ne suis pas botaniste de formation, mais j’ai travaillé dans l’herboristerie de ma grand-mère. J’ai toujours aimé les plantes et leurs noms vernaculaires et je veux partager ça depuis longtemps. Ça fait une dizaine d’années que je mûris ce projet. »


En nommant ces plantes, l’artiste entend les faire exister aux yeux des promeneurs. « Je trouve que ça change le regard des gens. Je peux vous assurer que, quand vous rentrerez chez vous, vous verrez des dizaines de plantes sauvages dans les rues. » En préparant son projet, elle raconte avoir compris, par exemple, que les coquelicots de son quartier profitent des pentes pour faire rouler leurs graines et s’étendre peu à peu. Ou que si la Ruine de Rome pousse dans sa rue mais pas dans les rues voisines, c’est parce qu’elle est riche de vieux murs. Depuis fin mai, l’artiste, accompagnée de sa sœur, a identifié près d’une centaine d’espèces différentes et peint une cinquantaine de pochoirs.


Pour sensibiliser les passants, Frédérique Soulard propose également des sorties pour goûter des tisanes à base de plantes ou faire taguer par des quidams les noms des plantes sur le sol : « On travaille avec la mairie de Nantes qui nous a donné une subvention et a prévenu ses équipes pour ne pas que ce soit effacé. Mais le but n’est pas forcément d’être le plus efficace possible ou de tout répertorier. Un vrai botaniste pourrait passer deux heures pour vous montrer les plantes d’une rue de dix mètres ; moi, j’essaye plutôt de mettre doucement les gens en relation avec les plantes autour d’eux et le nom, c’est un super moyen ! En vous apprenant qu’il existe une plante qui s’appelle la « Ruine de Rome », je vous ai fait un beau cadeau, non ? » Pour que vous aussi puissiez offrir le nom des plantes en marchant dans les rues, voici les photos (et le nom) de plusieurs plantes, dont la fameuse Ruine de Rome.

mercredi 18 juin 2014

Hundertwasser (1) "La sainte merde"

Extraits du manifeste l’«Éloge de la merde»

" Il a fallu la végétation de millions d'années pour recouvrir la boue, les toxines d'une couche d'humus, d'une couche de végétation, d'une couche d'oxygène, afin que l'homme puisse vivre sur terre.
Et cet homme ingrat ramène justement à la surface cette boue et ces toxines recouvertes au prix d'un long effort cosmique. De par le crime monstrueux de l'homme irresponsable, la fin du monde devient le début de tous les temps. Nous nous suicidons. Nos villes sont des ulcères cancéreux. On le voit très bien d'en haut. Nous ne mangeons pas ce qui pousse chez nous, nous allons chercher nos aliments très loin, en Afrique, en Amérique, en Chine et en Nouvelle Zélande. Nous ne conservons pas notre merde. Nos excréments, nos ordures sont emportés au loin. Nous empoisonnons les fleuves, les lacs et les mers avec, en nous donnant l'illusion de les dépolluer, nos stations d'épuration coûteuses et extrêmement compliquées. Nos ordures sont aussi dispersées, détruites, brûlées. Elles servent à empoisonner l'air, l'eau et la terre. La merde ne revient jamais dans nos champs, jamais non plus de l'endroit d'où proviennent les aliments. Le chemin de l'aliment à la merde fonctionne. Le chemin de la merde à l'aliment est abandonné.
Nous nous faisons une idée fausse de nos déchets. Chaque fois que nous tirons la chasse d'eau en croyant accomplir un acte hygiénique, nous enfreignons les lois cosmiques, car c'est en vérité un acte impie, un geste sacrilège de la mort. Quand nous allons aux toilettes, verrouillons la porte de l'intérieur et laissons emporter notre merde, nous mettons un point final. Pourquoi avons-nous honte, de quoi avons-nous peur ? Nous refoulons comme la mort ce qui se passe avec notre merde après. Le trou des cabinets a, pour nous, l'apparence de la porte de la mort: surtout partir vite, surtout oublier la pourriture et la putréfaction. Et pourtant, c'est justement le contraire. La vie commence seulement avec la merde. La merde est beaucoup plus importante que l'aliment. L'aliment conserve seulement l'humanité qui augmente en quantité, diminue en qualité et est devenue un danger de mort pour la Terre, un danger de mort pour la végétation, le monde animal, l'eau, l'air, la couche d'humus. La merde, elle, est la pierre à bâtir de notre résurrection. Aussi loin qu'il s'en souvienne, l'homme essaie d'être immortel. L'homme veut avoir une âme. La merde est notre âme. Grâce à la merde, nous pouvons survivre. Grâce à la merde, nous devenons immortels. Pourquoi avons-nous peur de la mort ? Quiconque utilise une toilette-humus n'a pas peur de la mort, car notre merde rend possible la vie future, notre régénération. Si nous n'estimons pas notre merde et nous ne la transformons pas en humus à la gloire de Dieu et du monde, nous perdons notre droit de pouvoir être présent sur cette terre.
Au nom de fausses lois hygiéniques, nous perdons notre substance cosmique, nous perdons notre régénération. La saleté est la vie. La propreté stérile est la mort. Tu ne tueras point, mais nous stérilisons, tuons toute vie avec du poison et du béton; c'est un meurtre. L'homme n'est qu'un tuyau. D'un côté il met des choses, de l'autre elles ressortent digérées. La bouche est devant, l'anus derrière. Pourquoi ? Cela devrait être le contraire. Pourquoi le fait de manger est-il positif ? Pourquoi la merde est-elle négative ? Ce qui sort de nous n'est pas une ordure, mais la pierre à bâtir le monde, notre or, notre sang. Nous perdons tout notre sang, notre civilisation perd tout son sang. Notre terre perd tout son sang par l'interruption absurde du cycle. Quiconque saigne, perd du sang. S'il ne le remplace pas par du sang neuf, il finira par mourir.
Freud avait raison quand il a dit dans l'interprétation des songes : la merde est synonyme d'or. Il nous faut maintenant constater que ce n'est pas seulement un rêve, mais aussi la réalité. Quand Passolini a fait manger de la merde à des acteurs dans un film, c'était un symbole pour fermer le cycle. Un désir d'accélération désespéré. Il faut consacrer le même amour, le même temps et le même soin à ce qui sort «derrière» et à ce qui entre «devant». La même cérémonie qu'en mangeant, avec nappes, couteaux, fourchettes, cuillères, baguettes chinoises, argenterie et éclairage aux chandelles. Nous avons des prières avant et après les repas. Personne ne prie en chiant. Nous remercions Dieu pour notre pain quotidien qui provient de la terre, mais nous ne prions pas pour que notre merde se transforme de nouveau.
Les déchets sont beaux. Trier et réintégrer les déchets est une joyeuse occupation. Cette occupation ne doit pas se dérouler dans les caves et les arrière-cours, sur les fumiers, dans les toilettes et les cabinets, mais là où nous vivons. Elle doit se faire là où il y a de la lumière et du soleil : dans la salle de séjour, dans notre salle de parade. Il n'y a pas de déchets. Les déchets n'existent pas. La toilette – humus est une marque de standing. Nous avons le privilège d'être les témoins de la manière dont, à l'aide de notre sagesse, notre propre déchet, notre propre merde se transforme en humus, de même que l'arbre croit à la récolte qui mûrit. Chez nous, comme si c'était notre propre enfant. Homo – humus – humanitas, trois mots décisifs ayant la même origine. L'humus est le véritable or noir. L'humus a une bonne odeur. Le parfum de l'humus est plus sacré et plus proche de Dieu que l'odeur de l'encens.
Quiconque va se promener dans la forêt après la pluie connaît cette odeur. Naturellement, c'est étonnant quand le seau d'ordures se trouve au milieu de notre appartement et que la toilette – humus devient le siège d'honneur, la plus belle place. C'est toutefois exactement la volte-face que notre société, notre civilisation, doit faire maintenant si elle veut survivre. L'odeur d'humus est l'odeur de Dieu, l'odeur de la résurrection, l'odeur de l'immortalité.

Par Friedensreich Hundertwasser

Algajola, Venise, Nouvelle-Zélande, 1979-1980

Hundertwasser(3)
Hundertwasser (2)

lundi 2 juin 2014

Les cafés impersonnels

J'aime les cafés impersonnels
Le tablier des demoiselles
Si peu soucieuses de mes pensées
J'aime l'indifférence passagère
les yeux en guise de dictionnaire
Et la musique de ces troquets

Mais j'aime aussi les quand elle me sourit

J'aime les kilomètres solitaires
Le passeport dans la portière
Les idées filent, l'aiguille s'affole
J'aime les sons sortis d'son semi sommeil
Les 'déjà là' des petits réveils
A la radio les 2 heures sonnent

Mais j'aime aussi les quand elle me sourit

J'aime le chevalet, la fourmilière
Aux heures tardives et familières
Les brouillons noirs, l'attente aussi
J'aime les grands carreaux tout près du plume
Pour le cas où le clin de lune
Souffle la fin durant la nuit

Mais j'aime aussi les quand elle me sourit


Calico